Certains albums, vous les découvrez à leur sortie. Ils vous ravagent littéralement tripes et boyaux, finissent par vous accompagner toute une vie durant sans que vous n'arriviez à expliquer le pourquoi du comment. Il subsiste un mystère que vous n'arrivez pas à cerner, une alchimie incompréhensible.
Song, d'It's Immaterial, fait parti de cette catégorie de disques.
Sorti en 1990, je me souviens l'avoir acheté sur les conseils de Beauvallet (du temps où il avait encore une éthique), l'avoir posé dans le tiroir de la platine cd et m'être posé la question, une cinquantaine de minutes plus tard, c'est quoi ça ?? Il y a rien là-dedans : pas de rythmes, pas de refrains, peu de guitares et à peine plus de batterie. A la limite il y a bien un frémissement de tube ou quelque chose s'en approchant avec in the neighbourhood mais ça ne va pas plus loin que ça. L'album s'appelle song mais on n'en voit pas la queue d'une justement. Voilà en gros le sentiment que j'ai eu en l'écoutant la première fois. Et pourtant malgré cela j'ai persisté. Fierté, connerie, allez savoir. En l'écoutant je devinais qu'il y avait derrière un monde auquel je n'aurais accès qu'à force de persévérance, qui se dévoilerait au fur et à mesure des écoutes. Le déclic se fit au bout de la deux ou troisième écoute avec in the neighbourhood justement.Un titre abordable certes mais lesté par une mélancolie, un désespoir typiquement anglais. Ce titre c'est l'incarnation du crachin anglais, du fog, du poids de la société qui vous empêchera de réaliser vos rêves en vous disant : toi, tu fais parti des classes populaires pauvres, il n'y a aucun espoir pour toi de t'en échapper.
Puis heaven knows a dévoilé ses charmes puis new brighton puis tout l'album. Song s'est ouvert à moi sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. J'en saisis l'essence, le désespoir, cette chape de plomb qui recouvre l'auditeur à chaque écoute mais l'essentiel est ailleurs chez eux. Jamais un groupe n'a porté si bien son nom : leur musique ne s'incarne pas, elle est évanescente, vaporeuse, elle flotte partout, insaisissable, faite d'atmosphères. Totalement immatérielle donc, proche d'un Blue Nile (dont le chanteur produit cet album, d'où la connexion) ou encore (et toujours) Talk Talk mais celui de la seconde face spirit of eden .
Vous me direz, c'est quoi une musique matérielle ? A vrai dire j'en sais foutre rien. Disons pour développer le con/cept que la matérialité en musique ressemblerait fortement à ce qu'a pu produire Oasis, par exemple, à peu de choses près, à la même époque. Un groupe ancré dans sa décennie justement, d'une temporalité bien marquée, sans véritables subtilités, capable reprendre les recettes (efficaces certes) des Beatles comme des Stones et de les adapter sans une once d'originalité. L'exact opposé de la musique produite par It's Immaterial.
Depuis 1990 il n'est pas un mois, voir une semaine sans que je ne l'écoute. Je pensais le connaître par coeur, ses moindres respirations, ses silences, son putain de crachin. Jusqu'à ce que j'aille à la route du rock et me le rachète en vinyle. Je sais : le vinyle c'est hype en ce moment, patati patata.... m'en tape. Mas là, une fois posé sur la platine, je le redécouvre. Tout ce que le cd a passé sous silence, aplani, affadi presque, tout ce souffle, cette vie réapparaît comme par enchantement. Ce qu'on devinait à force d'écoutes saute littéralement à la gueule : la mélancolie vous broie les tripes, certains arrangements se dévoilent ( sur new brighton notamment). La beauté intrinsèque de song trouve un éclat particulier à la relecture, bien plus brillant. Et, cerise sur le gâteau, je découvre également une version inédite d'heaven knows (présente sur la réédition de Cherry Red sous le titre curieux de faith).
Pour en finir avec It's Immaterial, le groupe a splitté en 1990 après la publication de song. Il faut savoir qu'un troisième album (house for sale) était prêt, enregistré mais refusé par toutes les maisons de disque car jugé trop sombre. On peut en trouver quelques titres sur youtube (it's alright between us et new moon) et des b-sides et rarities à cette adresse en écoute et téléchargement gratuits.
Bref, depuis mon retour de la route du rock, c'est peu de dire que je suis aux anges, écoutant song inlassablement. Un bonheur simple.
Merci pour cette chronique qui donne bien envie d'aller à la route du rock pour dégoter le vinyle.
RépondreSupprimerQue penses tu du premier album ?
je l'apprécie pas tout autant que celui-là mais je le trouve également remarquable. Plus simple, direct, pop, composé de quelques excellents tubes (driving away from home ou ed's funk dinner. Je le recommande chaudement aussi.
RépondreSupprimertout ça pour 4 malhereux euros !
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