15 mars 1991.
Ça vous dit peut-être rien cette date mais pour un bon paquet de musiciens, il s'agit de l'an 1 d'une nouvelle ère. Slint sortait dans une indifférence générale spiderland, portait la sécheresse en étendard, la bave aux commissures des lèvres, l'envie de bouffer tout le monde doublé d'une résignation, d'une folie intériorisée jusqu'à la maladie, d'une rage comme on en avait peu vu jusque là.
Quatre années plus tard Ved Buens Ende sort written in waters et applique à la lettre près les préceptes de spiderland. Au métal. Sinon quel intérêt ?
Présentation pour commencer : VBE est un trio formé en 1994 à Oslo par Carl-Michael (drums, vocals), Vicotnik (guitars, vocals) et Skoll (bass), norvégien de son état donc (comme son nom l'indique) pratiquant un black metal progressif d'avant-garde. Ils sortent leur première démo en 1994, those who caress the pale qui est sensé poser les bases de leur son mais ne prépare en rien à l'excellence de written in waters. Leur métal est...comment dire...ordinaire. Très mélodique certes, pas mauvais, mais n'arrivant pas à la cheville de bergtatt d'Ulver, sorti la même année. Toutefois on repère çà et là quelques signes avant-coureur de l'excellence de written in waters notamment sur le morceau those who caress the pale, alternant rage froide à la Slint et influences cold wave à la Cure du début des 80's.
Pas de quoi écorcher un chat me direz-vous. Voire même pas de quoi s'en souvenir. En gros rien ne prépare à la claque que sera written in waters l'année suivante.
D'emblée ce qui frappe sur i sang for the swans, morceau introductif, c'est le son. Compact, dissonant, sec mais alors très sec. Les trois premières minutes, avant que les voix ne fassent leur entrée, sont exemplaires : la morgue, la rigueur de la cold wave retravaillée par le beadcrumb trail de Slint : tendu, montant progressivement, traversé par quelques fulgurances rythmiques métalleuses, le morceau atteint une sorte de climax puis se scinde en deux, repart dans une autre direction pour mieux nous préparer au retour d'un Ian Curtis, qui n'a rien demandé à personne, au chant. Secondé quelque temps plus tard par une sorte de troll dissonant venu lui prêter man forte au cas où il se sentirait pas bien. Résultat : i sang for the swans en plus d'être très puissant finit par devenir extrêmement malsain. Le morceau se termine, au bout de sept minutes par le renoncement progressif du guitariste puis du batteur exsangues, à bout de force. L'auditeur en revanche a fortement intérêt à se trouver une chaise à proximité parce qu'après ce coup de maître introductif, ce poing dans la gueule, ce qui va suivre va le sonner définitivement.
You, that may wither, second morceau, enfonce le clou en citant l'atmosphère de nosferatu man des omniprésents Slint. Seuls la voix, dans sa théâtralité limite comique, et la batterie nous rappellent que nous sommes dans un disque de métal. You, that may rappellerait plutôt que la frontière entre post-rock et métal ne tient vraiment qu'à un fil et que le sport préféré de VBE sur ce disque est d'aller explorer ces paysages dévastés en toute inquiétude.
It's magic porte plutôt mal son nom ou alors fait référence à la magie noire tant le morceau fait flipper. En associant la dissonance des voix, des choeurs hantés, it's magic touche au malsain, à l'étrangeté, ajoutez à cela des changements de rythmes permanents et on finit par se retrouver complétement largué en plein milieu d'une messe noire sacrificielle.
Fin de la description de ce disque de malade, il y a encore six autres morceaux, tous aussi déments, malsains, passionnants, oppressants.
Written in waters se déroule, se dévoile donc au travers de neuf morceaux, longs, sinueux, addictifs, étranges.Morceaux progressifs, extrêmement tendus dévoilant des influences diverses et variées : le jazz (le jeu du batteur sur coiled in wings notamment, la reprise hallucinante, méconnaissable des feuilles mortes de Kosma ou encore le final free-jazz de remembrance of things past), la cold wave (remembrance of things past) , le post-rock (Slint donc influence majeure et incontestée de written in waters), le métal de VBE n'en a que les atours. Il est une sorte de réceptacle, de guide, de repère vers lequel VBE revient, pour se rassurer, de ses longs voyages vers des contrées inexplorées (quoique, le dernier morceau, au bandonéon, est comme une dérive en mer, seul ).
Written in waters est l'unique album sorti par VBE. Comme le spiderland de Slint, il est passé complétement inaperçu. Comme Slint avec le rock, VBE a réécrit l'histoire du métal en y ajoutant un chapitre, celui du post-métal. La différence avec Slint est que si spiderland est connu et reconnu comme étant un mètre-étalon du rock actuel, written in waters est loin d'avoir le même statut auprès de la communauté métalleuse. Le seul équivalent que je lui connaisse, c'est le de ware hound de Lugubrum, descendant direct de cet excellent et mythique written in waters.
EXCELLENTE chro !
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