samedi 5 avril 2014

La Fontaine de jouvence.

Tout de même, me dis-je pendant le trajet vers Rennes : et si elle n'est pas en forme ? Si elle est trop diminuée ?
Ça pourrait tourner au désastre.
Faut dire que ce moment je l'attendais depuis longtemps. Pensez donc, Brigitte Fontaine à Cesson-Sévigné. Brigitte Fontaine.
Vingt ans qu'entre elle et moi, sans être l'amour fou, se vit une relation de fan presque transi  (elle, elle est pas au courant et puis...elle s'en fout hein). Depuis genre humain pour tout vous dire. Et la découverte de la nuit est une femme à barbe ou encore conne. Puis l'exploration de sa discographie et ce choc de l'ordre du séisme quand j'ai eu entre les oreilles la version originale de comme à  la radio ou encore à l'écoute de Brigitte Fontaine est folle.
75 ans au compteur, une reconnaissance tardive et surtout une prise de risque constante lors d'une carrière exceptionnelle.
Franchement, de sa génération, qui peut se targuer d'avoir joué avec des pointures telles  le Art Ensemble Of Chicago, de compter parmi ses admirateurs transis Sonic Youth, Jim O' Rourke ? Personne jusque là.  De sa génération qui poursuit encore une carrière basée sur le risque, l'impertinence, la remise en cause perpétuelle de son art (quitte à se prendre quelques gamelles cf l'un n'empêche pas l'autre) ? à part Christophe ou Manset, c'est effectivement le désert.
Comprenez mes espoirs et surtout mes craintes (accentuées par des prestations télévisuelles proches du pathétique et un album où sa voix donne de sérieux signes de faiblesse) lors du trajet vers Rennes pour voir son spectacle.
Deux heures plus tard, sur le chemin du retour, je reste sans voix, venant d'assister à un concert terrible. Pas le meilleur que j'ai pu voir mais probablement le plus émouvant et peut-être un des plus extraordinaires. Pas d'un point de vue musical. Si le groupe faisait très bien son job, le guitariste se prenant pour Slash avait tendance à me les briser menue. Non, parce que malgré son arrivée difficile, chancelante, sur le devant de la scène, aidée par une tierce personne, grimée en flibustier, malgré ses apparentes difficultés à se mouvoir, prisonnière d'un corps qui ne veut plus répondre de façon adaptée à ses désirs, l'esprit était plus volage, plus impertinent, plus libre, en un mot, plus jeune que jamais. Pendant la première partie, elle n'hésite pas à déconner avec son public, introduisant chaque morceau de façon inimitable, piochant dans un répertoire faisant la part belle aux vingt dernières années et alternant moments intimes d'une beauté à chialer (rue saint louis en l'île, notamment), coups de sang énergiques (demie clocharde) et moments tragi-comiques (prohibition) et grosses déconnades ( les hommes préfèrent les hommes). Après un intermède instrumental elle revient sur scène, paraissant fatiguée. Les blagues ne fusent plus, les intermèdes entre les chansons se font rares mais on la sent émue d'être là devant un public conquis par son charisme innée et tout acquis à sa cause. Elle ne parle quasiment plus, chante de mieux en mieux, l'apparente nonchalance de la première partie fait place à une assurance et à une émotion palpables, cependant ça ne l'empêche pas de reprendre du poil de la bête et  massacrer génialement un "conne" dantesque. Plusieurs fois elle fait mine d'étreindre son public, fait la révérence quasiment entre chaque morceau. Il faut dire que le public Rennais le lui rend bien, la portant tout au long du concert, lui réservant un triomphe lors d'un soufi, en rappel, extraordinaire. En même temps, ce n'est que justice : tout au long du concert, Brigitte Fontaine se fait mutine, espiègle, cabotine, vive, on ne peut plus libre, alternant poésie pure et impertinences, capable de provoquer un large panel d'émotions dans un même morceau ( d'une minute à l'autre on passe du rire aux larmes voire on parvient à rire avec les tripes broyées). Ce spectacle qui aurait pu être pathétique, de par sa condition physique précaire, se transforme en un moment de grâce de presque deux heures grâce à une Brigitte Fontaine portée par une pulsion de vie et un public formidables. C'est d'autant plus intense que  son jeu de scène ne se limite qu'à quelques pas dans un périmètre très restreint, occupant la plupart du temps le fauteuil trônant au milieu de la scène.
Pour conclure, j'ajouterai qu'il ne faut en cas négliger son répertoire, sa musique. Arriver à 75 ans balais et être capable de pondre de telles chansons, sans âge, sans véritable prise sur le temps, à entretenir ce décalage entre la modernité et surtout la pertinence de sa musique, ça force le respect.
Alors ce n'était probablement pas le concert le plus impressionnant vu jusque là mais en tous les cas ce fut certainement le plus vivant.


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