1983 dans les bureaux de virgin.
-Bon les gars, on a un problème. Et un
gros. Va falloir trouver une idée de pochette pour un disque dont on
ne devrait tirer aucun bénéfice sauf celui du prestige de vouloir
se tirer une balle dans le pied.
-Vous êtes sur de ce que vous avancez
?
-Affirmatif. D'ailleurs j'ai amené ici
une copie de l'album en question pour que vous vous en fassiez une
petite idée. Je l'aurais bien refusé mais on m'a dit en haut lieu
que c'était hors de question.
-Vous savez pourquoi ?
-Il paraît que le gars est une vedette
ultra connue des sixties, qu'il a été avec son groupe aussi
populaire que les Beatles, que l'avoir signé redorerait le blason de
virgin. Mais là, à l'écoute de sa galette, j'affirmerais sans trop
me planter qu'on est quelque peu dans la merde. Il y a pas de tubes
là-dessus, rien. A peine une chanson. Vous verrez, à la seconde
plage, le gars des claviers est resté bloqué sur une note. Et la
troisième, y aurait du potentiel mais ça décolle pas, ça évolue
pas, y a un refrain certes mais ça vaut pas les petits gars que je
viens de signer, simply red qu'ils se font appeler.Eux savent écrire
des tubes, je peux affirmer sans me planter qu'on devrait se faire
des couilles en or avec eux. Mais je voudrais pas vous influencer,
écoutez, vous me direz ce que vous en pensez.
Il ouvre la platine, pose le disque.
L'écoute commence. Une demi-heure passe. Climate of hunter se
termine. En prêtant bien l'oreille on entend plus que les
flatulences des drozophiles.
-Euhhh.................... là c'est
clair qu'on est mal. Vous en avez pensé quoi vous autres ?
-Ben, on va pas se faire de thunes avec
ce gars, ne nous faisons pas d'illusions.
-Musicalement, y aurait-il un pécore
qui pourrait me dire ce qu'il en a pensé ?
-C'est clairement du caca. Ca groove
pas du tout, la voix est trop mise en avant, les arrangements
paraissent datés et certains effets sont ringards. En un mot comme
en cent, ça vaut pas Simply Red.
-Merci pour votre point de vue.
Y-a-t-il quelqu'un d'autre pour prendre la parole à propos de ce
disque ?
Vous là-bas dans le coin : on vous
entend pas, vous bougez à peine, si vous pouviez ne pas être là...
-Qui, moi ???
-Oui, vous !!
-Ok. Vous voulez mon avis ??? vous
allez l'avoir. Ne nous voilons pas la face, on va pas faire de
ventes. En revanche, contrairement à mon connard de collègue sur la
droite, j'affirme haut et fort que Simply Red c'est du caca qui va
certes nous rapporter du pognon mais qu'en matière de crédibilité
on va y perdre. Manquerait plus qu'on récupère UB40 et là on
tiendrait le pompon. Sinon pour tous les ignares présents dans cette
salle Scott Walker a effectivement été une idole avec son groupe
the walker brothers dans les années 60. Il a sorti par la suite
quatre albums complétement différents de ce qu'il produisait avant.
Cet album que vous venez d'entendre, c'est un putain de chef-d'oeuvre
à côté duquel vous allez tous passer bande de branleurs. Les
arrangements ne sont pas datés bien au contraire, ils sont
intemporels et au service d'une voix magnifique. Ce mec c'est the
voice. Presley et Sinatra sont des petits joueurs à côté de lui.
Sa démarche est radicale certes mais il arrive à faire sonner ses
invités comme personne. Vous avez vu ?? Billy Ocean est excellent et
même l'autre endive de Knopfler sonne comme du Walker et pas Dire
Straits. Rien que pour ça je dis qu'il devrait être déifié ce
mec. Climate of hunter est un disque exigeant, qui ne prend pas ses
auditeurs pour des cons, évite toute facilité. Alors évidemment il
y a pas de mélodies évidentes, de trucs à fredonner sous la
douche, pas de refrains qu'on retiendra dès la première écoute
mais une atmosphère unique qui, mais ça ne reste que mon point de
vue, passera les années sans perdre une once de mystère. Vous jouez
en effet votre crédibilité en ne le sortant pas. Il est des disques
dont on sait pertinemment qu'ils deviendront culte sans faire de
vente. Scott Walker fait parti de cette catégorie d'artiste, ça
vous défrise probablement la chicorée mais ce n'est pas de ma faute
si vous n'êtes qu'une bande de mécréants attirés par le pognon
tel des mouches par la merde. On parle pas fric là on parle musique.
On parle même de création, d'image.
-Ok, ne nous énervons pas. Ce sera
tout ? Bon on va tout de même passer à ce qui nous intéresse, à
savoir la pochette.
Vu la musique un pendu ça serait de
circonstance non ? Un truc morbide, je sais pas moi, un zombi
bouffant un vinyle marqué Scott Walker dessus. Ou alors un truc
chiadé, hyper stylisé, un paysage dans la brume d'où émergerait
une main ensanglantée et au-dessus il y aurait marqué climate of
hunter en lettres rouge sang.
-Mais putain vous en tenez une couche
!! Vous avez écouté l'album oui ou merde ??!!! C'est un truc sobre,
sombre, exigeant, quelque chose dans lequel on nous invite à
rentrer, qui demande une attention particulière. On est pas chez
Iron Maiden ou Scorpions là. Il faut une photo, simple...
Bon ça va........ virez moi ce
gusse... il commence à me courir sur le haricot avec ses théories
fumeuses sur la musique. La musique c'est un produit, une
marchandise. On se doit de faire du profit avec. Ca s'arrête là. Si
vous voulez travailler dans l'industrie musicale, prenez un
instrument n'importe lequel et faites des notes avec de façon plus
ou moins harmonieuse. Après, tout est affaire de commerce. Point
barre. Fin du brainstorming, rentrez chez vous, merci.
N'empêche. Je ne sais pas comment
s'est déroulé la première écoute du climate of hunter chez virgin
mais j'imagine très bien la gueule des commerciaux découvrant cet
ovni. Une tête de trois pieds de long, en train de s'arracher les
cheveux pendant l'écoute, en se demandant comment ils vont arriver à
vendre ça.
Pour tout dire, je l'ai
retrouvé dans ma discothèque, dépoussiéré, enlevé les
moisissures, remis sur la platine et pris une bonne claque. La
production sent en effet les années 80 avec ce son de basse pourri,
slappé mais la voix de Walker, imposante, impériale colle un paquet
de frissons monumental et le contenu est intemporel. Climate of
hunter est barré, beau, expérimental, il enterre définitivement
les années pop et sert de transition afin de préparer la population
ébahie au radical tilt à venir une bonne dizaine d'années plus
tard. Mais c'est une autre histoire que je vous narrerai une
prochaine fois.
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